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Pour clôturer cette saison, je vous prie d’acclamer, comme il se doit, nos deux invités : l’Américain Todd Strasser (1950-) et la Camerounaise Djaïli Amadou Amal (1975-).
La Vague
Todd Strasser, du journalisme à la littérature
Né au sein d’une banlieue new-yorkaise, Todd Strasser a un penchant pour la science au collège. Il aime également lire. Toutefois, il bataille avec l’orthographe et la grammaire, et manifeste des difficultés à s’exprimer en anglais.
Après quelques années d’université, il jette l’éponge. Il prend le chemin de l’Europe où il vit comme musicien de rue. Il y écrit de nombreuses chansons et poèmes, ainsi que des lettres à ses amis restés aux États-Unis.
De retour dans son pays natal, il retrouve les bancs de l’école. En effet, il étudie la littérature et l’écriture au Beloit College. Sa formation lui permet d’investir le champ du journalisme. Il travaille comme reporter dans des médias new-yorkais, avant de basculer vers la littérature.
Angel Dust Blues, son premier roman, est publié en 1978. Todd Strasser utilise le produit de ses ventes pour ouvrir une entreprise de biscuits. Il se démarque ensuite en se spécialisant dans la littérature de jeunesse, avec plus d’une centaine de livres à son actif.
Plusieurs de ses romans ont été adaptés à la télévision, parmi lesquels La vague.
La vague (1981)
Ce petit livre s’inspire de faits réels.
L’histoire derrière l’histoire
En 1969, dans le lycée de Cubberley en Californie, Ron Jones, professeur d’histoire, dispense un cours sur le nazisme. A la question, posée par ses élèves, de savoir comment les Allemands avaient pu laisser une telle monstruosité se produire sous leurs yeux, il est sans voix.
Pour leur faire comprendre les mécanismes du nazisme, il se résout à mettre sur pied un mouvement expérimental, qui, espère-t-il, permettra à ses élèves de comprendre, non par des explications théoriques, mais par le vécu. C’est ainsi que ce mouvement, né dans la classe de Ron Jones, se propage dans tout le lycée, créant une atmosphère dictatoriale où la liberté de pensée est muselée.
Le récit
Todd Strasser met en scène l’expérience du lycée de Cubberley dans le lycée imaginaire de Gordon. Le personnage principal, le professeur Ben Ross, est à la manoeuvre.
Ce texte est intéressant dans la mesure où il montre progressivement à quel point bâtir un espace autocratique est une oeuvre à la portée de tous. J’y ai également perçu une exhortation à ne jamais abandonner son esprit critique, indépendamment de la qualité de son interlocuteur.
Par ailleurs, les derniers développements du livre, au cours desquels Ben Ross démontre à ses élèves, au bout de l’expérience, qu’ils auraient, eux aussi, été de bons petits nazis, sont particulièrement saisissants.
Munyal. Les larmes de la patience (2017)
Djaïli Amadou Amal, l’écrivaine-militante
Elle est née en 1975 à Maroua, dans l’Extrême-Nord du Cameroun.
Djaïli Amadou Amal entreprend des études supérieures en gestion commerciale. Victime d’un mariage forcé à dix-sept ans, elle choisit l’écriture pour exprimer son mal-être.
Elle est présentée comme la première femme écrivaine du Septentrion camerounais. Son premier roman, Walaande; l’art de partager un mari, paru en 2010, lui confère une renommée immédiate. Il s’agit d’une saillie autobiographique, l’auteure ayant évolué dans un foyer polygamique.
Ce premier texte est couronné par le Prix du jury de la Fondation Prince de Claus à Paris, et conduit à la traduction de l’ouvrage en langue arabe, ainsi qu’à sa diffusion dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient.
Elle crée parallèlement l’Association Femmes du Sahel, destinée à l’amélioration de la condition féminine.
Ses romans suivants, Mistiriijo; la mangeuse d’âmes, paru en 2013, ainsi que Munyal, les larmes de la patience, publié en 2017, confortent son parti pris assumé pour une littérature militante.
Munyal, les larmes de la patience, remporte en 2018 la sélection de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. Fait inédit, jamais un écrivain ayant publié en Afrique n’avait remporté cette sélection, qui était la chasse gardée des maisons d’édition françaises.
En 2019, ce même ouvrage est lauréat du Prix de la Presse Panafricaine de Littérature, et du Prix du Livre Orange en Afrique. Réédité aux éditions Emmanuel Collas sous le titre Les Impatientes, il permet à Djaïli Amadou Amal de remporter le prix Goncourt des Lycéens 2020.
Munyal, les larmes de la patience (2017)
Trois en un
Ce roman s’intéresse à la condition de la femme dans le Septentrion au Cameroun, sous trois angles. Trois trajectoires, trois souffrances singulières, trois femmes, trois narratrices : Ramla, Hindou, et Safira.
C’est un assemblage de violences physiques et psychologiques marquantes. S’il fallait résumer ce roman en un mot, ce serait : révoltant. Lorsque des personnes qui devraient compatir à notre douleur sont les premières à les légitimer, il n’y a pas d’issue. Djaïli Amadou Amal présente cette réalité avec un lyrisme qui frise la dépression, notamment en ce qui concerne Hindou.
Dans l’hypothèse où vous êtes, comme moi, étrangers à la culture peule, vous sortirez nécessairement de cette lecture avec quelques acquis. La romancière fait voyager le lecteur dans l’atmosphère de la ville de Maroua, en le renseignent sur l’organisation communautaire.
J’espère en avoir assez dit pour susciter en vous le désir de vous procurer ce livre, et n’en avoir pas trop dit, pour ne pas épuiser votre curiosité.
Achetez-le !!!