Notre période est dominée par l’instantanéité, la rapidité et le zapping alors qu’il faudrait prendre le temps de penser et réfléchir pour éviter de blesser puis de s’excuser, car il reste souvent une trace douloureuse. C’est ce respect dans la parole qui fait la noblesse de l’échange. Jean-François Mattéi
Il était une fois, mon cousin Mathusalem et moi.
(Comme vous le constatez, ses parents sont de très fidèles croyants. Ils n’ont pas eu besoin de mener une réflexion approfondie pour lui trouver un prénom.)
De deux ans mon aîné, Mathusalem a été plus qu’un cousin. Il a été pendant longtemps un grand-frère et un confident de premier choix.
Tout s’est produit pendant les vacances. Un dimanche, juste après la messe. Je me souviens imparfaitement du sujet autour duquel nous échangions. Cependant, ce qui est encore très distinct dans mon esprit, c’est la phrase qu’il a prononcée et qui a modifié à jamais le cours de notre relation.
Une phrase qui m’a glacé le sang : « Ed Sheeran est plus talentueux que Belka Tobis ».
Ce jour, j’ai su à quel point j’aime Belka Tobis.
C’était très grave. Et ça l’est toujours autant. Surtout les nuits où, des années après l’incident, je me réveille en panique, ayant à nouveau fait un cauchemar adossé sur ce moment terrifiant.
Le plus alarmant ce jour-là, ce n’était pas ce qu’il avait dit, c’est la manière avec laquelle il l’avait affirmé. A travers le ton employé, j’avais saisi que pour lui, un débat n’était même pas indispensable pour départager les deux artistes.
Cela avait profondément émietté mes forces. Il me semble d’ailleurs que, n’eut-été la présence d’une chaise juste derrière moi, j’aurais bruyamment rejoint le sol, tellement la charge venimeuse de son propos m’avait bousculé.
J’ai bien évidemment exigé des excuses pour sanctionner ce comportement déplacé. Il a admis s’être exprimé sous le coup de l’émotion. Dans la foulée, il a promis de ne point se distinguer par un pareil écart à l’avenir. Hélas, le mal était consommé.
Depuis lors, nous continuons certes à interagir, parce qu’on ne choisit pas sa famille.
A l’époque, lorsque l’on se réunissait au village pendant les vacances, nous étions toujours dans les mêmes équipes de Ndo’chi-babouches. Il me couvrait pendant les offensives, et je faisais de même pour lui. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Un indissoluble climat de méfiance s’est érigé entre nous. Nous nous limitons à de plates courtoisies. Finies les discussions intimes dans le silence de la nuit, sur nos relations amoureuses et nos projets. J’abrège volontairement nos échanges, de peur qu’il ne me mutile à nouveau.
J’espère que ce lourd secret familial que je dévoile vous suggérera de ne pas répéter la même erreur que Mathuuuu (c’est ainsi que je l’appelais affectueusement avant l’incident).
La vie est trop brève pour être petite
Faisons d’elle une balade inédite
M²CD