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Acrotomophilie ?

« Chacun de nous a vécu quelque chose qui l’a changé pour toujours. » Alda Mérini

En un seul clic, sa vision du monde avait basculé.

Comme souvent, il se baladait sur les réseaux sociaux, lorsqu’il aperçut au loin un article intitulé « Avez-vous déjà entendu parler de l’acrotomophilie ? »

D’une part, les termes techniques produisaient invariablement de la lassitude en lui ; d’autre part, il ne s’aventurait jamais sur les réseaux sociaux pour dévorer autre chose que l’actualité du sport et des faits divers.

Il se détourna logiquement de cet article, et préféra dévêtir un texte traitant des salaires des footballeurs en Grande-Bretagne.

A croire le calendrier sur parole, c’était un dimanche matin. Il avait négligé la messe, car trouvant inadmissible de contribuer à élargir sans cesse le gabarit du Père Ignace.

Jaspion n’offrait en aucun cas plus de vingt-cinq francs pendant la quête, même au cours des périodes de fêtes chrétienne. Toutefois, il était persuadé que sans son apport financier, le Père Isidore n’aurait pu acquérir ni sa dernière automobile, ni des kilogrammes supplémentaires sur ses joues.

Il avait donc décidé de protester, à sa manière, contre cette dissimilitude de condition sociale : le Père Ignace ne verrait pas sa pièce de vingt-cinq francs ce matin-là.

A genoux dans sa chambre, il avait mobilisé quelques minutes afin de présenter ses amitiés au Seigneur. Puis, il s’était hâtivement rendu chez Jean Gâteau, l’épicier du coin, pour se procurer un bonbon de vingt-cinq francs. Il aurait bien aimé faire une folie et s’acheter des biscuits de cent francs, mais sa conjoncture économique ne l’autorisa pas à faire preuve d’autant d’inconscience.

Il se contenta de la sucrerie de vingt-cinq francs.

C’est à son retour de l’épicerie que l’article sur l’acrotomophilie lui avait fait un clin d’œil. Après de multiples hésitations, il se résolut à cliquer dessus, non parce qu’il était intéressé par le contenu, mais parce que, dans son étrange raisonnement, il fallait compenser le rejet de la messe, activité habituelle, par la réalisation d’une activité inhabituelle.

Il apprit donc que l’acrotomophilie était une tendance résidant dans l’attirance sexuelle pour une personne amputée.

Ce fut un choc terrible.

Ce jour-là, il se figura que toutes les femmes qui avaient un jour rejeté son attention, ne pouvaient être que des acromotophiles. Le prétexte était tout trouvé pour soulager son égo continuellement méprisé.

De drôles de phénomènes se déroulent dans le monde, pensa-t-il. Il ne put réprimer la maturation d’un dialogue dans son esprit, dialogue entre les membres de l’ASACRON (Association des Acromotophiles de Nkolmesseng) – oui, Jaspion s’imagina que les acrotomophiles se réunissent nécessairement pour se motiver et partager leurs expériences.

Jénisse : Un beau jeune homme m’a fait des avances tout à l’heure sur Twitter. Je lui ai demandé de m’envoyer une photo entière.

Lagrange : Et après ?

Jénisse : Il avait un bras en trop. Quelle horreur, ma chère Lagrange !! Il était pourtant si courtois !

Lagrange : Ah, ma pauvre. Tu es si malheureuse en amour. Moi, j’ai rencontré un homme formidable il y a trois semaines. Gaspard. Il dégage une telle présence avec sa béquille ! Je crois que je suis folle de lui. Mon âme flotte. Chaque fois que je pose mon regard sur ………

La suite ne peut pas être dévoilée en public, des mineurs sont parmi nous.

PS :

Une délégation des acromotophiles du Cameroun sera convoquée au grand dialogue national. Il s’agit d’une affaire très sensible, le Premier Ministre attend déjà les propositions de tous et de toutes.

La vie est trop brève pour être petite

Faisons d’elle une balade inédite

M²CD

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